Philippe Clément
Quand on travaille pour une entreprise dont 1'impression de journaux, de livres d'art ou de magazines constitue le fonds de commerce, il est des sujets qu'on ferait mieux de ne pas aborder... Mais la créativité et l'ingéniosité peuvent forcer à tel point l'admiration qu'on ne peut que passer outre à la plus élémentaire des prudences. L'idée d'André Alphonse Deriaz et du professeur Pierre Emile Ravussin est de cette trempe-là. Dame! Tirer profit des progrès de l'informatique pour mettre au point une méthode de sauvegarde des photographiques était déjà louable Mais arriver à en extrapoler une «imprimerie mobile» dénote d'un réel talent de visionnaire.
André Alphonse Deriaz a la photo dans les gènes. On ne
descend pas de trois générations de mordus de la pellicule sans quelques séquelles...
Reste que cet état il choses provoque quelques menus soucis. Comme celui, par
exemple, d'être l'heureux garant de 5’000 m3 d'archives, plus ou moins équitablement réparties
entre daguerréotypes, plaques de verre, autochromes et diapositives. D'où l'idée,
lumineuse, de faire appel à un cousin aux facultés appropriées. Ingénieur en
physique, passionné d'informatique, il faut moins que le temps d'un flash à
Pierre Emile Ravussin pour se plonger à fond dans le problème. «Ce matériel
est fragile, les plaques de verre se cassent, les couleurs des films passent.
Nous avons donc décidé de le numériser pour le mettre en sécurité. Et j'ai
cherché le matériel adéquat.» Il opte pour un ordinateur de type PC et un
scanner. Exigeant, il se heurte très vite aux limites de l'appareil. « Le
scanner était de bonne qualité, mis il ne me permettait pas de scanner les
grands formats jusque dans les bords. Alors je l'ai ouvert et j'ai regardé...
(Sourire en coin.) Ça m’a pris du temps, mais j'ai trouvé. » Résultat: son
scanner lui permet désormais de digitaliser toutes les images; les archives en
sûreté sous forme numérique, faciles à stocker sur des CD-ROM, voire des
DVD, offrent désormais la possibilité de corriger les couleurs, de réparer
les outrages du temps.
Jusque-là, rien de révolutionnaire. Si ce n'est un détail:
une fois numérisée, cette matière devient copiable à l'envi sans perte! De
quoi donner des ailes au stade suivant: faire des expositions à grand, à
gigantesque format. Et le professeur Ravussin de se remettre au travail. «Kodak
avait développé une machine, mais elle ne marchait pas, ou du moins pas assez
bien pour nous. On a donc décidé de se lancer sans les attendre. » Il planche
sur le sujet et, au début de 1998, c'est une première exposition à Morges, en
noir et blanc. Une fois numérisée, il est vrai que la quantité d'informations
contenue sur une seule plaque en verre occupe encore un gigabyte (un milliard
d'informations de base sous forme numérique!). C'est beaucoup trop pour les
ordinateurs actuels (1999) ! Le chercheur vise donc un moyen de réduire tout cela, sans
perte de qualité.
Et les progrès sont fulgurants: à la fin de la même année,
non seulement l'exposition suivante est en couleurs, mais la technologie permet
désormais d'inclure du texte dans les photos! La première expo était déjà
une première mondiale, la seconde est impressionnante: jamais personne n'était
parvenu à faire d'aussi grands agrandissements en couleurs de photos anciennes
(plus de 4 mètres par 3,8 mètres!). La définition est telle que, même en
s'approchant, la netteté est frappante. Il faut vraiment coller le nez sur
l'image pour distinguer les points. mais déjà Ravussin s'attaque aux limites:
le PC n'est pas assez puissant? Il améliore toute la partie «traitement de
fichiers », monte des processeurs en parallèle, optimise la mémoire, choisit
les disques les plus rapides, ajoute quelques petites trouvailles de son cru.
Pour l’impression, il choisit un plotter (imprimante géante»), pour lequel Kodak a mis au point des
pigments résistant à la pluie, à la neige, au soleil et au froid, et que l'on
peut déposer indifféremment sur du papier ou du vinyle autocollant, suivant
l'usage. Le logiciel, mis au point à l'EPFL par la société MAS SA (actuellement
G.I.T. SA), « découpe»
automatiquement l'image en bandes. Le plotter imprime ensuite une à une
ces bandes de 120 centimètres de large, qu'il suffit alors de juxtaposer pour
obtenir des agrandissements pouvant atteindre voire dépasser 45 x 45 mètres!
Tout cela sous le contrôle d'un autre logiciel maison, gérant les couleurs.
Pas question que le bord de l'un des rubans présente la plus petite variation
de nuance d'avec le voisin. En cela, les épreuves qui ornent les murs du
bureau-laboratoire du professeur Ravussin parlent mieux que les mots: éclatant!
Mais l'idée a déjà rebondi. La dernière exposition s'est tenue à Yverdon. On y voyait des cartes postales de tout le siècle passé. On y voyait des bateaux, le lac. Faut-il insister un peu plus encore? Le lien avec l'Expo.01 a déjà sauté aux yeux des deux compères. Et l'idée a germé: puisque la technologie et la légèreté du matériel le permettent et que la qualité des impressions à jet d'encre est bonne, pourquoi pas se lancer dans la couverture d’événements en direct ? Une photo numérique, suivie du traitement de l'image, puis de l'impression: la carte postale instantanée est aussi simple que cela.
Le Matin. Dimanche 20 juin 1999
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Dernière modification :
19 septembre 2019